Histoire de
Jean-Baptiste Marcant.
Commentaire du journal écrit par un
soldat napoléonien, originaire de Winnezeele (F). Entré dans
l'infanterie en 1811, après un séjour dans quelques villes
de ce qui est maintenant la Belgique, il embarque sur un navire à
Boulogne et est fait prisonnier presque immédiatement. Il est
libéré à la fin de 1813......
......Le carnet qui renferme la chronique
de Maxent Frédéric Marcant comporte 130 pages. Elle est
écrite, semble-t-il, bien après les événements
qu'elle décrit. On remarque une très grande précision
des détails: les dates, la nourriture etc... ce qui semble suggérer
qu'elle a été rédigée en utilisant des notes,
certainement un journal écrit au fur et à mesure des
événements........
Ponton le Glory
......Nous arrivâmes sur ce bateau
le 25 octobre 1811. C'est un ancien navire de guerre de 89 canons et 3 batteries
de sabords sont bouchés par des barreaux d'acier. A l'extérieur,
au niveau de l'eau de trouvent des galeries où se tiennent des
sentinelles, Deux le long de chaque bord et une à chaque
extrémité. Au milieu, du côté gauche, il y a un
escalier pour monter sur le pont, il est si grand qu'il compte 40
marches.........
.....enfin, sur ce navire, il y a par dessus,
un petit promenoir à l'avant dans la batterie de 28. C'est là
que se trouve la cuisine avec les lavoirs, un pour les prisonniers et l'autre
pour l'équipage. De plus, on trouve diverses pièces où
logent des prisonniers protégés par quelques riches officiers
qui paient pour avoir leur cabine. Ensuite, il y a 2 petites pièces
dont l'une sert de cambuse pour mettre les vivres lorsqu'elles arrivent à
bord le jour précédent et l'autre sert d'endroit où
mangent les cuisiniers et pour distribuer les vivres. Les chaudrons se trouvent
au centre. Il n'y en a que deux. Le plus grand peut contenir 900 litres de
soupe avec 400 livres de viande et le petit contient 500 litres de soupe
avec 200 livres de viande. Ils sont faits de telle manière qu'on puisse
les vider jusqu'à la dernière goutte sans même devoir
éteindre le feu. A côté des chaudrons et du feu, il y
a un four où l'on peut cuire toutes sortes de choses et on peut même
y faire chauffer des petites marmites. Le long de l'autre côté
de la cheminée, se trouvent des chenets où l'on peut faire
du feu et on peut y trouver quelquefois plus de 150 gamelles, des petites
et des grandes. Cet endroit est suivi par le parc au dessus duquel se trouvent
les bandes de toiles qui sont fixés à l'avant dans une poutre
transversale et par l'arrière au grand mât avec des poulies
pour les abaisser et pour pouvoir y attacher le linge et ainsi le pendre
pour le faire sécher. Le reste de la batterie de 18 est utilisé
par le Anglais et une infirmerie est situé dans la batterie de 24
à l'avant, où l'on met les malades si leur état n'est
pas suffisamment grave pour aller sur le navire-hôpital. Le reste du
(...) est habité par les prisonniers. Il y a un petit escalier très
raide et étroit de 12 marches, à côté de cet escalier
se situe l'escalier de la batterie de 36 qui ne fait que 2 pieds de large
et qui compte 22 marches, contre celui-ci, se trouve l'escalier du faux pont
de 33 marches vers le bas qui, quand on considère ces trous, donnent
l'impression de mener en enfer car on n'y voit pas clair, comme si il y faisait
toujours nuit. Une lourde porte que l'on nomme écoutille tombe sur
chaque ouverture toutes les nuits .
...pour en venir aux batteries, dans la
batterie de 24, on voit des boutiques,
un peu plus loin, des écoles qui
enseignent toutes sortes d'arts
ainsi que des auberges et toutes sortes
d'autres négoces, certains apprennent
la navigation, d'autres le dessin car certains
dessinent sur le verre.
C'est merveilleux de voir comment une personne
peut avoir assez de
patience pour faire de telles oeuvres,
d'autres construisent des modèles
réduits de bateaux en bois et en
os. C'est incroyable de voir comment
des mains peuvent fabriquer d'aussi jolies
choses avec si peu d'outils et
avec tant de goût. Car ce sont là
des petits bateaux qui sont vendus
jusqu'à 20 guinées et qui
ne sont faits que d'os et les cordages de fils de
soie auxquels il ne manque rien, même
pas le ..... (?) d'un canon. Ils ne
sont pas plus grands, tout compris, qu'une
bouteille de deux doublons.
Ce sont parfois des bateaux de 130 canons
qui doivent faire au moins
800 pieds de long, 150 pieds de large et
180 pieds de haut. Beaucoup de
personnes font toutes sortes d'objets à
l'aide d'os comme des boîtes,
petites et grandes. Dans la batterie de
36, il y a plein de prisonniers et
aussi sur le faux pont. On trouve toujours
dans chacune de ces deux
batteries 400 prisonniers et quelquefois
5 à 600 hommes. On y voit
aussi un grand nombre d'inventeurs qui
fabriquent toutes sortes d'objets
pour adoucir la misère et la faire
oublier. Il y en a beaucoup qui s'amusent
à peindre de la paille de toutes
sortes de couleurs. Ils en recouvrent
ensuite des boîtes. C'est très
beau car aucun artiste n'est aussi habile
pour faire un tableau aussi joli avec un
pinceau que ces ingénieux
ouvriers, sans autre outil qu'un canif.
Il y a des boîtes de bois recouvertes
de paille que l'on peut mettre dans la
poche et qui à cause de leur
grande beauté et l'art avec lequel
elles sont décorées, sont vendues
jusqu'à 3 ou 4 guinées. Beaucoup
montrent leur talent par des travaux
avec des cheveux humains et qui en font
des bagues, des bracelets, des
chaînes de montres et toutes sortes
d'autres jolies choses. La majorité
des ouvriers utilise la paille car plus
de 300 personnes travaillent à faire
des tresses pour faire des chapeaux et
des bonnets. Le débit est important
et c'est bien cher car un beau bonnet est
quelquefois vendu jusqu'à
15 francs mais la paille nous coûte
beaucoup d'argent et cela représente
beaucoup de travail à faire les
tresses. En plus cela doit être fait en cachette
car il est même interdit d'apporter
de la paille à bord. Ce n'est que
grâce à l'argent que nous
en obtenons et encore grâce à l'argent que
nous
pouvons vendre notre travail. Mais, grâce
à l'activité des Français et
à
leur courage, nous travaillons tous beaucoup
car par la boisson on ferait
vendre son père à un Anglais.
Beaucoup d'entre nous subviennent à leurs
besoins par le commerce que ce soit celui
du tabac, du fil, du savon, des
bougies, du beurre, du fromage et d'autres
choses dont nous avons besoin.
Certains vendent du thé, d'autres
font commerce de poissons et
d'autres de biscuits, d'autres collectent
les os de la viande qu'ils échangent
contre du poivre. Ils les écrasent
et les font bouillir, collectent le
saindoux et le vendent. D'autres encore
vendent des pommes de terre
cuites qu'ils achètent en sacs,
ils les font bouillir et les vendent pour un
sol, d'autres préparent du rata
de pommes de terre et d'un peu de viande
qu'ils achètent aux prisonniers
et vendent ensuite le rata. De plus, beau-coup
d'autres tiennent auberge et vendent toutes
sortes de boissons telles
que du vin, du rhum et 3 ou 4 sortes de
bière. Beaucoup rendent service
aux prisonniers et ainsi remplissent les
fonctions de cordonnier, tailleur,
menuisier, ébéniste,
rétameur, forgeron. Tout ce dont nous avons
besoin
est fabriqué ici, tout comme les
jeux de cartes et toutes sortes d'autres
choses, toutes sortes de jeux que ce soit
avec des dés ou selon d'autres
règles. On trouve aussi des écoles
d'escrime et de danse et aussi des gens
qui apprennent à se défendre
avec un bâton. On voit aussi ici toutes sortes
d'activités comme dans une ville
et de la même manière on trouve ici
aussi toutes sortes de gens. Il y a ici
des gens honnêtes mais il semble
qu'il y a aussi toute la lie de la nation
française car on trouve ici certains
des bons à rien les plus futés
du monde entier (...) Certains aussi, par
l'usure et par l'achat de leurs vivres,
rendent à la fin ce malheureux si
pauvre qu'il est complètement nu.
Certains vendent leurs vivres pour
jouer et à la fin ils se retrouvent
aussi sans pantalon et obligés de dormir
par terre comme cela se passe aussi pour
tous ceux qui s'adonnent au jeu.
On voit les puces envahir de telles personnes.
Mais il existe une très
bonne habitude qui consiste à les
envoyer sur le Samson. Sans cela, on
verrait courir les puces sur le sol par
centaines alors qu'il y en a déjà
assez. (...)
Certains parcourent les batteries, du matin
au soir, pour vendre, ceux qui
pratiquent vraiment le métier des
Juifs que l'on nomme bazardeurs. Ainsi
quelqu'un qui a quelque chose à
vendre le leur donne et ils parcourent les
batteries avec cet objet, jusqu'à
ce qu'il soit vendu en appelant continuellement
qui veut acheter et qui veut vendre. D'autres
se promènent du
matin au soir avec du tabac, d'autres avec
des bâtons de sucre, du poisson
et d'autres vivres tels que du thé,
du rata, des pâtés et des crêpes, des
saucisses et d'autres nourritures ainsi
que ceux qui circulent pour ramasser
les os, d'autres pour vendre du pain, de
la viande, de la soupe et du
poisson tirés de leur ration si
bien que l'on entend toujours crier pour
vendre ou pour acheter de tous
côtés du matin jusqu'au soir. On trouve
aussi toutes formes de jeux pour faire
rentrer de l'argent comme le trente
et quarante, le vingt et un et la parole
que l'on joue ici avec des dés. Il y a
encore dans cet endroit cent autres sortes
de petits jeux que je ne peux
citer ici, également toutes sortes
de distractions comme le billard, la
musique et la danse, d'autres personnes
se distraient avec des armes et
encore cent autres choses qui servent à
faire oublier la misère car ici on
voit toujours le Français être
gai, ne pensant pas à la misère et malgré
la
situation désolante on cherche toujours
à l'adoucir. Certains aussi par
ingéniosité s'imaginent pouvoir
faire de la fausse monnaie car on parie
beaucoup de papier monnaie ici. Aucun imprimeur
n'est capable de faire
quelque chose que les Français ne
peuvent reproduire à l'aide de plumes
et de pinceaux.(...)
En ce qui concerne les vivres, ils sont
censés nous donner une livre et
demie de pain et une demi-livre de viande
mais les poids anglais sont très
petits et c'est ici comme partout ailleurs,
chacun en vole autant qu'il le
peut et avant que cela nous parvienne,
ce n'est plus qu'aussi gros qu'un
poing. Un pain représentant 3 rations
n'a la taille que de la moitié d'une
ration normale mais il est beaucoup plus
compact. Il est brûlé par dessus
et par dessous et au milieu c'est comme
si la pâte n'était pas cuite. A mon
avis, il est quand il a deux jours, il
est acide à tel point qu'il est presque
immangeable
et quand il est rassis de 3 jours, il sent
mauvais et on dirait du
mortier. Cependant, pour qu'il pèse
plus lourd, on l'amène tout chaud
car il est déjà pesé
pour un groupe de 6 hommes. C'est la même chose
pour la viande, elle est pesée le
matin et est attachée avec du fil à voile
sur une broche de bois. Chaque broche est
destinée à 6 hommes car
nous sommes sensés manger ensemble
par groupes de 6. On appelle un
"baquet" chaque groupe de 6 hommes qui
partagent le même ordinaire
et chaque "baquet" comprend un homme qui
fait le service. Le pain est
coupé pour chaque homme et pesé
car chaque "baquet" possède une
balance pour tout peser. Le midi on donne
la viande par un trou avec un
peu de sel. Il y a davantage de nerfs et
d'os que de viande et la part de
chaque homme a la taille d'un oeuf. Ensuite
on va chercher la soupe
dans un seau que nous devons aussi acheter
si nous voulons en avoir
un. La soupe ressemble a de l'eau bénite,
elle ne contient pas d'autre
légume que de l'orge
décortiqué et quelquefois la moitié de la balle
est
encore dessus. On appelle cela du gruau.
Ce n'est pas de la mauvaise
nourriture si seulement nous en avions
beaucoup. La ration de soupe
pour chaque homme est un pot anglais qui
est la mesure qui remplace la
"kanne" (un litre). Cela équivaut
à peu près à un litre. Le mercredi
on
nous donne une livre de harengs avec une
livre de pommes de terre.
Pour chaque homme, nous recevons un mercredi
des harengs pecs et le
suivant des harengs saurs. Pour ce qui
est des harengs pecs, nous en
avons trois ou quatre par personne et
quelquefois cinq selon leur taille.
Ils sont parfois à moitié
pourris et si ils sont meilleurs, on en distribue
juste suffisamment pour redonner un peu
de force au corps. Si on les
vend, on en donne cinq pour un sol. On
a seulement une ou deux pommes
de terre par personne que nous faisons
cuire dans la grande mar-mite
dans un filet que nous devons fabriquer
nous-même ou bien
l'acheter si nous voulons cuire des pommes
de terre. Une ration de
pommes de terre coûte parfois un
sol et quelquefois six doublons. Les
harengs pecs constituent presque toujours
l'ordinaire. On en reçoit cinq
ou six par personne et parfois sept. Nous
les vendons au prix d'un sol
fait à base d'orge car quand il
vient d'être cuit, il est sucré,
quand il a deux jours, il est acide à
tel point qu'il est presque immangeable
et quand il est rassis de 3 jours, il sent
mauvais et on dirait du
mortier. Cependant, pour qu'il pèse
plus lourd, on l'amène tout chaud
car il est déjà pesé
pour un groupe de 6 hommes. C'est la même chose
pour la viande, elle est pesée le
matin et est attachée avec du fil à voile
sur une broche de bois. Chaque broche est
destinée à 6 hommes car
nous sommes sensés manger ensemble
par groupes de 6. On appelle un
"baquet" chaque groupe de 6 hommes qui
partagent le même ordinaire
et chaque "baquet" comprend un homme qui
fait le service. Le pain est
coupé pour chaque homme et pesé
car chaque "baquet" possède une
balance pour tout peser. Le midi on donne
la viande par un trou avec un
peu de sel. Il y a davantage de nerfs et
d'os que de viande et la part de
chaque homme a la taille d'un oeuf. Ensuite
on va chercher la soupe
dans un seau que nous devons aussi acheter
si nous voulons en avoir
un. La soupe ressemble a de l'eau bénite,
elle ne contient pas d'autre
légume que de l'orge
décortiqué et quelquefois la moitié de la balle
est
encore dessus. On appelle cela du gruau.
Ce n'est pas de la mauvaise
nourriture si seulement nous en avions
beaucoup. La ration de soupe
pour chaque homme est un pot anglais qui
est la mesure qui remplace la
"kanne" (un litre). Cela équivaut
à peu près à un litre. Le mercredi
on
nous donne une livre de harengs avec une
livre de pommes de terre.
Pour chaque homme, nous recevons un mercredi
des harengs pecs et le
suivant des harengs saurs. Pour ce qui
est des harengs pecs, nous en
avons trois ou quatre par personne et
quelquefois cinq selon leur taille.
Ils sont parfois à moitié
pourris et si ils sont meilleurs, on en distribue
juste suffisamment pour redonner un peu
de force au corps. Si on les
vend, on en donne cinq pour un sol. On
a seulement une ou deux pommes
de terre par personne que nous faisons
cuire dans la grande mar-mite
dans un filet que nous devons fabriquer
nous-même ou bien
l'acheter si nous voulons cuire des pommes
de terre. Une ration de
pommes de terre coûte parfois un
sol et quelquefois six doublons. Les
harengs pecs constituent presque toujours
l'ordinaire. On en reçoit cinq
ou six par personne et parfois sept. Nous
les vendons au prix d'un sol
pour trois. Le vendredi nous recevons chacun
une livre de morue sèche
qui est donnée le plus souvent quelques
jours auparavant afin de la faire
tremper. Nous la vendons deux sols la ration.
Tous les autres jours nous
avons de la soupe et de la viande, ce que
nous préférons beaucoup plus
aux jours maigres.
(...)
Quand il fait mauvais temps et que le pain
ne peut pas venir on nous
donne une livre de biscuits. On trouve
aussi à bord des biscuits et de la
viande salée pour l'hiver. Quand
le pain est mauvais, nous le refusons et
nous recevons une livre de biscuits à
la place. Ici nous avons les feuilles
publiques ou la gazette qui arrive en secret
à bord grâce à quoi nous
savons toujours tout ce qui se passe et
comment vont les affaires de la
guerre. Pour éviter les rumeurs
nous surnommons la gazette "la musique"
pour que les Anglais ne soupçonnent
rien. Elle est traduite tous les jours
en français pour tous les
prisonniers.
extrait
du journal de J.B.Marcant , Musée de Cassel, académie de
Lille